Balado « Avec ou sans accent » S3-E4 – Valoriser la L1, réussir en L2 : conseils d’Agathe Tupula Kabola aux enseignants, aux parents et aux milieux scolaires

Dans cet épisode du balado Avec ou sans accent, j’échange avec Agathe Tupula Kabola, orthophoniste et communicatrice, autour de la francisation, du bilinguisme et de l’inclusion en contexte scolaire. Ensemble, nous déconstruisons certaines idées reçues encore tenaces, tout en offrant des repères pour mieux comprendre les besoins des enfants allophones et des pistes concrètes pour soutenir les familles. L’angle que j’ai choisi est résolument pédagogique et ancré dans la recherche, tout en demeurant accessible grâce à des exemples vécus et à des conseils pratiques.

Un des fils conducteurs de notre échange est la persistance du mythe selon lequel l’exposition à plusieurs langues nuirait à l’apprentissage du français. Agathe Tupula Kabola rappelle que les langues ne se “font pas concurrence” dans le cerveau. Au contraire, la maîtrise de la langue d’origine agit comme un levier pour apprendre une langue seconde, en permettant à l’enfant de transférer ses acquis. Nous évoquons aussi les effets à long terme de la rupture avec la langue familiale, tant sur la continuité des apprentissages que sur le sentiment d’appartenance culturello-linguistique. Le message est clair : maintenir la langue d’origine favorise l’épanouissement identitaire et linguistique.

J’aborde également, avec Agathe, des repères pour distinguer l’apprentissage d’une langue seconde d’un trouble du langage. Il n’est pas nécessaire d’attendre la fin d’un parcours de francisation pour intervenir. Certains indicateurs doivent alerter : des difficultés présentes aussi dans la langue maternelle, des problèmes de compréhension (souvent plus discrets que les difficultés d’expression), un retard marqué dans l’apparition des premiers mots et des premières phrases, ou encore une intelligibilité insuffisante vers l’âge de trois ans. Ces éléments justifient un suivi orthophonique, indépendamment du statut allophone de l’enfant. Nous insistons sur l’importance de garantir l’accès aux services spécialisés lorsque c’est nécessaire.

Nous mettons aussi en lumière les nombreux bénéfices du bilinguisme : une plus grande facilité à apprendre à lire et à écrire, une meilleure attention sélective, une souplesse cognitive accrue et une capacité à “penser hors des sentiers battus”. Pour les familles, trois principes se dégagent : adopter une vision de long terme, déculpabiliser le mélange des langues dans les échanges quotidiens et élargir le “village” autour de l’enfant. Cela passe par des interactions riches et régulières dans chaque langue, le recours à la famille et à la communauté (en personne ou à distance), ainsi qu’à des contenus culturels comme les livres, les émissions ou les chansons. L’idée n’est pas de forcer la communication, mais de la rendre plaisante et soutenue dans le temps.

Enfin, nous soulignons que le milieu scolaire et l’adolescence appellent des nuances importantes. L’aisance conversationnelle peut apparaître rapidement, mais le langage scolaire — analyser, comparer, argumenter — exige de cinq à sept ans d’exposition et d’enseignement ciblé, avec des trajectoires très variables selon les profils et les contextes. La progression n’est ni linéaire ni uniforme : deux enfants, même jumeaux, peuvent avancer à des rythmes différents.

Je conclus l’épisode sur un appel à valoriser la diversité des parcours et des accents, à entretenir des attentes réalistes et à reconnaître que transmettre une langue, c’est offrir un legs culturel durable.