Parler en voyage : un laboratoire vivant de stratégies linguistiques

06 Août 2025

Durant notre croisière qui nous mène au Belize, au Honduras et au Mexique, je réalise que les vacances peuvent devenir un véritable laboratoire linguistique. Non pas dans un cadre formel, mais au cœur du quotidien : au restaurant, dans un taxi, sur une plage, ou en écoutant les conversations sur le pont du navire.

Un petit groupe, quatre langues, et mille ajustements

Nous sommes quatre à voyager ensemble, et déjà, notre dynamique linguistique est fascinante.

Moi, je suis bilingue (français et anglais), avec un niveau intermédiaire en espagnol. Ma mère est bilingue également, mais en français et italien. Ma belle-mère, elle, est unilingue hispanophone. Et mon conjoint est trilingue : espagnol, français et anglais. Devinez qui joue le rôle d’interprète pendant toutes les vacances ?

Les situations sont nombreuses où il faut jongler entre les langues. Ma belle-mère ne comprend pas le français. Ma mère parle en italien à tous les hispanophones qu’elle croise, persuadée qu’ils la comprendront. Et contre toute attente — ou plutôt, grâce à un phénomène bien réel — les échanges fonctionnent.

L’intercompréhension : quand les langues romanes se rencontrent

Ce n’est ni un hasard, ni une surprise. C’est ce qu’on appelle l’**intercompréhension** entre langues proches. Les langues romanes (comme l’italien, l’espagnol, le portugais et le français) partagent de nombreux traits lexicaux, syntaxiques et phonétiques. Lorsqu’on s’exprime lentement, avec des mots accessibles, et une intention claire, il est tout à fait possible de se faire comprendre d’un locuteur d’une autre langue romane — même sans parler cette langue.

Ma mère n’est pas consciente de cette stratégie, mais elle l’utilise instinctivement. Et ça marche. Ce type de communication improvisée est une belle leçon pour nous, enseignants et formatrices en francisation.

Stratégies de communication spontanées observées en voyage

Voici quelques stratégies que nous avons utilisées (souvent sans les nommer) au fil de nos escales au Belize, au Honduras et au Mexique.

1. L’intercompréhension spontanée

Utiliser sa propre langue romane avec l’espoir (raisonné) que l’autre comprenne. C’est souvent suffisant pour communiquer une demande simple ou échanger un sourire complice. Cette stratégie est précieuse et mériterait d’être exploitée davantage dans l’enseignement des langues.

2. La gestuelle universelle

Pointer, mimer, faire des gestes : c’est simple, mais d’une efficacité redoutable. La communication non verbale vient souvent renforcer — voire remplacer — les mots manquants.

3. Reformuler et contourner l’inconnu

Quand je ne connais pas un mot en espagnol, je tente une paraphrase, une description, ou même un exemple. Cela exige de la souplesse mentale, mais ouvre la porte à la compréhension mutuelle.

4. Le rôle de médiateur linguistique

Mon conjoint est devenu le médiateur désigné. Il reformule, traduit, relie. Ce rôle est épuisant, mais essentiel. Il incarne, à lui seul, l’idée même de pont entre les langues et les cultures.

5. L’attitude comme outil de communication

Sourire, écouter, s’adapter au rythme de l’autre : tout cela transmet une bienveillance et une ouverture qui compensent largement les maladresses linguistiques.

Ce que les enseignants de français langue seconde peuvent en tirer

Ces observations de terrain — dans un cadre totalement informel — rappellent à quel point les stratégies de communication sont centrales dans l’apprentissage d’une langue seconde. On n’a pas toujours besoin de parler parfaitement pour se faire comprendre. Mais il faut oser. Oser s’exprimer, oser demander, oser écouter. Et parfois, oser parler italien à un Mexicain !

En classe de francisation, il serait pertinent d’intégrer des activités qui valorisent ces stratégies : jeux de rôle en situation de malentendu, reformulation, médiation, intercompréhension entre langues proches, etc.

Conclusion : parler, c’est entrer en relation

Cette croisière me rappelle que la compétence linguistique ne se mesure pas qu’en nombre de mots ou de règles maîtrisées. Elle se vit dans l’échange, dans l’effort mutuel, dans le désir de comprendre et de se faire comprendre. Et c’est ce que nous faisons, chaque jour, entre le français, l’espagnol, l’anglais et l’italien. Avec des rires, des erreurs… et beaucoup d’humanité.

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